Normes (1/3) : Règles obligatoires ou volontaires ?
C’est un fait indéniable, la confusion perdure autour du mot « norme ». Il renvoie tantôt à la réglementation (traités, lois, décrets, arrêtés, circulaires, …) tantôt à un document de référence construit sur la base du consensus (normes ISO, EN, NF…). Certains de ces documents sont d’application obligatoire, d’autres d’application volontaire : comment s’y retrouver ?
Norme « volontaire » : de quoi s’agit-il ?
La norme volontaire, souvent qualifiée de « technique », est un document de référence publié par un organisme de normalisation (AFNOR en France). Il est élaboré collectivement, à la demande et avec le concours actif des parties intéressées, souvent fédérées de manière représentative (entreprises, consommateurs, associations, syndicats, collectivités locales…). Co-construite de manière itérative, la norme volontaire fournit des principes, des bonnes pratiques ou des exigences pour un produit, une activité ou ses résultats. De 18 mois à trois ans s’écoulent, en moyenne, entre la décision de lancer les travaux et la publication de la norme volontaire. La recherche du consensus et l’intérêt général guident ce processus : il faut parfois du temps, surtout si, comme c’est le cas aujourd’hui à 90 %, les normes volontaires sont élaborées aux niveaux européen et international.
Les normes volontaires vivent : elles sont revues systématiquement et au moins tous les 5 ans. Les utilisateurs participent à la décision de leur maintien, de leur mise à jour ou de leur annulation. En 2013, 1250 normes AFNOR ont été révisées, 944 nouvelles ont été publiées et 1 936 ont été supprimées. A noter également que si une norme européenne couvre le même domaine qu’une norme française, cette dernière est supprimée au profit de la première ; la règle est appliquée par tous les pays européens et permet de construire le marché unique.
A quoi sert une norme volontaire ? Elle permet de définir un langage universel entre les différents acteurs économiques, de développer la confiance et de faciliter les échanges commerciaux, tant nationaux qu’internationaux. Les formats A4 et MP3 en sont des exemples connus du grand public. Vecteur d’innovation, la normalisation volontaire est une plus-value pour les organisations qui s’impliquent dans l’élaboration de ces outils qui façonneront les pratiques et les marchés de demain. La norme volontaire est souvent utilisée dans le cadre contractuel. Dans ce cas, son respect devient naturellement impératif, selon les conditions du contrat.
Mais alors, une norme peut-elle être obligatoire?
La réglementation est créée par des autorités administratives (Etat, Sénat, collectivités, etc.), elle émane donc d’un projet de loi, d’un règlement. Son application est imposée et son respect est impératif à la différence des normes volontaires.
Pour répondre à des situations précises d’intérêt général (domaine de la santé, besoin de sécurité, …) l’administration peut également décider de se référer à une norme volontaire pour garantir l’obtention d’un certain niveau de protection des personnes ou des installations. La norme volontaire citée dans la règlementation devient alors, dans ce cas très précis, d’application obligatoire. Moins de 1% des normes de la collection AFNOR sont concernées ; plusieurs d’entre elles relèvent de la sécurité électrique.
L’expression « trop de normes » est souvent relayée par des acteurs socio-économiques et les médias. Mais elle porte en fait sur la perception d’un excès de réglementations que sont les lois, décrets, arrêtés, circulaires. C’est par confusion sémantique que les normes volontaires y sont associées. Le Conseil d’Etat, dans son étude annuelle 2013(1), a donc recommandé de doter les Pouvoirs publics d’une doctrine de recours et d’emploi du « droit souple » pour contribuer à la politique de simplification de la règlementation. Elle souligne tout l’intérêt des démarches de concertation, de consensus et de travail collaboratif pour définir des règles partagées, optionnelles, comme des normes volontaires, pour compléter le « droit dur » (la réglementation) et l’améliorer.
Pour alléger les lois, décrets, arrêtés, circulaires s’appliquant aux collectivités territoriales, le Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (d’Alain Lambert et Jean-Claude Boulard) recommande notamment de s’inspirer de la manière dont le monde professionnel met en œuvre une activité normative volontaire sans susciter de difficultés majeures : « La raison en est simple, expliquent-ils. Les normes AFNOR commencent leur vie comme simple recommandation ». Ils recommandent aussi aux auteurs de la règlementation de privilégier la norme volontaire à chaque fois qu’il ne pourra être prouvé que l’obligation garantirait de meilleurs résultats que l’incitation.
Règlementation obligatoire versus norme volontaire ?
Droit dur et droit souple sont complémentaires : la norme volontaire peut servir d’outil pour répondre à la réglementation. La loi prescrivant un objectif, la normalisation volontaire peut alors proposer un ou des moyens pour l’atteindre sans qu’à aucun moment ces moyens-là ne soient imposés : ils sont simplement reconnus comme valables. Et tout acteur est libre d’utiliser d’autres moyens que ceux contenus dans la norme volontaire, pourvu que l’objectif poursuivi par la loi soit atteint.
Ce dispositif, déjà utilisé dans de nombreux secteurs depuis sa mise en place par l’Union Européenne en 1985 (la « Nouvelle Approche »), contribue effectivement à une simplification administrative, pour tous les acteurs économiques. Dans le secteur de la construction, AFNOR a dernièrement contribué aux réflexions du gouvernement en proposant un examen des normes AFNOR rendues obligatoires par la règlementation(2), en proposant de scinder en deux leur contenu, avec :
- Une partie définissant des exigences visant à satisfaire des obligations d’ordre réglementaire, pour la santé, la sécurité des personnes et des biens par exemple. Cette partie resterait d’application obligatoire,
- Une partie d’application volontaire, définissant des exigences visant à garantir par exemple la durabilité, la qualité, le confort ou l’aptitude à l’usage.
Ces deux parties resteraient élaborées, comme aujourd’hui, par consensus entre tous les acteurs concernés, y compris les représentants des pouvoirs publics.
Alternative efficace au « tout réglementaire », cette démarche permet également de limiter les risques de sur-règlementation et de sur-transposition de directives européennes par l’implication directe des parties intéressées dans la rédaction du document, tout en permettant, grâce aux mises à jour périodiques des normes volontaires, d’accompagner les innovations ainsi que l’évolution de « l’état de l’art ».
L’implication des pouvoirs publics avec les représentants de toutes les autres parties prenantes est indispensable pour donner toute sa place à la normalisation volontaire et lui permettre de contribuer au développement de notre économie. Cette reconnaissance grandissante de la normalisation volontaire est essentielle pour produire collectivement des textes de référence volontaires, utiles à tous, et tout à fait complémentaires à une réglementation modernisée.
Source : Article « La norme est-elle obligatoire ? » du 04/12/2014 paru dans AFNOR Actualités
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Pour aller plus loin :
Consultez l’organisation française de normalisation : AFNOR
Consultez les organisations européennes de normalisation : CEN, CENELEC, ETSI
Consultez les organisations internationales de normalisation : ISO, IEC, ITU
(1) Le Conseil d’Etat positionne la normalisation volontaire comme une des solutions pour lutter contre l’inflation normative.
(2) Article AFNOR « Construction : AFNOR propose des solutions pour simplifier les textes règlementaires du 1 octobre 2013.
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